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J'aurais bien des trucs à dire à propos de ce que je vous propose ici...
Bien des choses, trop de choses et ce n'est pas le lieu.
Je voudrais par contre que vous lisiez ce texte, juste pour partager.
Et si ça vous plait plein d'autres ici, chez Jeanda
Un printemps de nécrose
L'hiver emporta la tante Marie. Et Pépé. Le printemps, les espoirs qu'il avait sottement pu caresser. Toutes ses dernières illusions dissipées comme les ultimes givrées tenaces qui s'accrochent en mars, en avril, et que le jour éparpille puis dissout, Pierre n'aurait plus qu'à, finalement, trimballer gauchement son corps de petit garçon pour les quelques soixante années qui s'ouvraient à lui. Ce fut donc, contre toute attente, un printemps de nécrose.
Sans aller jusqu'à dire que cela fut marrant ou comique, il fut drôle de constater que dans un cas comme dans l'autre, les deux décès qui endeuillèrent la famille de Pierre étaient imputables, en quelques sortes, aux facéties d'un corps humilié qui devait alors jeter l'éponge.La tante Marie chuta et le col de son fémur se cassa. Son corps, un chien abandonné, avait piteusement préféré se laisser mourir. Le vétérinaire n'avait rien pu faire.
Quant à Pépé Dalquier, le papa de maman, son incontinence de plus en plus ingérable contrariait le déroulement serein des journées du vieil homme qui sans être pourri arborait la face édentée et fripée d'une vieille pomme. Le fruit trop mûr coulait en général des jours heureux et sédentaires, abstraction faite des aller et retour incessants que les outrages de l'âge lui faisaient subir. Cependant, sur l'insistance de sa sœur, peu de temps avant qu'elle ne casse sa pipe et son os, Pépé Dalquier -qui fut toujours perméable aux conseils avisés et serinés de sa sœur aînée, ô sœur aimée, «la peau de vache, ouais... » aurait-il pensé- se décida à s'inscrire enfin à ce voyage organisé : l'aventure ! Peut-être que sa seule motivation ne fut qu'elle lui lâchât la grappe... enfin... le Pépé en tout cas, le voilà qui se décide, ça lui prend comme une envie de pisser, puis dans le car qui part pour le Périgord. Le car fait une escale parmi d'autres. Pépé obligé de se rendre aux toilettes une fois de plus. Le car repart sans lui, cette fois. Humilié dans son corps, encore, c'est le cœur, autre chien abandonné sur la route des vacances, qui jette l'éponge, cesse de se battre, cesse de battre. Pépé est mort sur la parking, une auréole au pantalon. Une auréole en forme d'œil.
Si la mort de Pépé demeura un mystère pour le jeune homme -mourir d'aller trop aux toilettes, cela lui semblait suspect, impossible à considérer- il en fît son parti alors que tout bien considéré, la mort de la tante Marie : plus qu'une énigme, un défi aux lois de la nature !
Car Pierre, tout curieux qu'il était des choses de la vie, avaient longtemps été fasciné par le bouillonnement incessant qu'offrait le spectacle d'une colonie de fourmis. L'organisation qui, sans être apparente, reposait sur quelques lois secrètes, tous ces agissements que nul hasard ne devait commander, bref, l'ensemble des règles qui régissait minutieusement le moindre mouvement des insectes, tout ceci il avait eu un temps loisir de le contempler. Ainsi avait-il assisté à quelques extraordinaires et hauts faits de ces braves hyménoptères : cette capacité à porter charge incroyablement plus lourde que leur propre masse... et ces chutes incommensurables dont les victimes se remettaient par une légère accélération de leur déambulation, une fois la terre retrouvée. Il avait puisé dans ses observations, que bientôt il complèterait par l'étude dilettante d'autres espèces, une sorte de loi générale de la chose biologique. Et il ne pouvait se résoudre à accepter que la mort fut la résultante d'une chute si minable. L'humain, de surcroît, clamait pompeusement son arrogance à la face du monde vivant (avec cette brillante intuition qu'ont parfois les enfants, Pierre en avait perçue des bribes, déjà, de cette arrogance,) et bien des fois, la Tante Marie, par ses mesquins calculs et cette façon hésitante mais économe qu'ont les vieilles personnes de se mouvoir, présentait aux yeux du jeune homme un je ne sais quoi de formique. L'humain, donc, comment pouvait-il soutenir encore cette position dominante quand choir de sa propre taille vous taillait l'individu en pièce ?
Au sortir de
cet hiver douloureux au cours duquel il avait été une fois de plus victime
d'une otite carabinée (et l'image n'est pas de trop : à croire qu'à coups
de fusil on lui explosait les tympans,) il se saisit de l'occasion pour
annoncer à sa mère qu'il abandonnerait le judo dès que sur pied, au retour des
vacances de février.
Il
bredouillait, prétextait midi à quatorze heures... incriminait les horaires, la
fatigue que cela procurait à laquelle viendrait bientôt s'ajouter la fulgurance
d'une croissance qu'il devait entamer... elle avait bon dos aussi semble-t-il,
cette passagère démotivation que de mauvais résultats lors des dernières
compétitions avaient miraculeusement suscitée. Sa mère devait y penser, pour le
moment, et ne trancha point.
Ce n'est pas
tant qu'il n'aimait plus ce qu'il considérait comme au delà d'un sport ;
bien au contraire, le judo avait tôt fait de revêtir pour Pierre un contact
précoce avec une façon de pensée dans laquelle il s'était reconnu, sans en
avoir fait une démarche volontaire. Il aimait particulièrement tous ces petits
gestes épurés et bourrés de respect et d'obéissance envers les adversaires, les
juges, les maîtres. Il goûtait révérencieusement le bien-être absolu qu'il
ressentait assis de la sorte, les fesses sur la plante des pieds croisés, mains
posées à plat sur les cuisses, dans l'attente de l'appel de son nom qui dirait
le moment d'aller combattre. Il aimait par dessus tout devoir attendre. Le
contact du cou de pied avec le tatami était un plaisir aussi certain et
aussi vif que l'odeur générale qu'exhalait le dojo. Et le velouté de la
surface du tatami, lorsqu'il le caressait du plat de sa main, lui
procurait un je ne sais quoi de volupté.
Non, le
problème qu'il devait désormais affronter ne se situait plus sur le tatami.
Certes, Pierre n'obtenait que de minables résultats lors des compétitions,
alors qu'il était de l'avis même de son sensei fin technicien... pas assez
d'ardeur au combat, peut-être, ajoutez à cela qu'il prenait plutôt le judo à la
façon d'une chorégraphie donc il cherchait tout naturellement le joli
mouvement, voilà tout. Il se faisait terrasser régulièrement par de petits
nerveux, souvent de pâles ceintures, qui à peine Hajime lâché par
l'arbitre avaient déjà fondu sur lui, un petit ko soto gari un peu bâclé
et voilà Pierre affalé sur le tatami, l'odeur lui plaît à Pierre, il
prend son temps et respire à large narine, tandis que l'autre s'affaire à
verrouiller un hon gesa gatame scolaire mais efficace. Les secondes
s'égrainent et Pierre prend le temps de tout envisager. Trente petites
ridicules secondes à rester sur le dos, sans guère vouloir se débattre, et
voilà l'arrêt du combat et proclamé vainqueur le petit nerveux débraillé.
L'arène où se
déroulait désormais le combat le plus terrible aux yeux de Pierre était les
vestiaires. Il lui devenait impossible d'affronter le regard des autres, quand,
chacun, après être sorti du collège, prenait place sur le banc, se déshabillait
et se parait du kimono. Depuis le temps qu'ils appartenaient au même
club, pour la plupart, ils se connaissaient bien. Et les bouleversements chez
le corps de l'enfant qui se propageaient tel une épidémie, touchaient untel,
untel, ou encore tel autre... un par un ils étaient terrassés par les prémices du
mal, les début du mâle... un après l'autre... mais Pierre guettait, inquiet, son
tour... tour qui avait dû être sauté... il se rendait malade d'être à ce point
épargné... inique immunité...
Il avait dû
alors développer une stratégie qui devait le conduire à être soit l'un des tout
premiers soit l'un des tout derniers à investir le vestiaire afin de se
changer. Au moins évitait-il de ressentir gêne ou honte.
Un
désert : deux dunes dénudées dorées et chauves. Un grain de peau chaud et blond. Une zone de ridules comme un
rivage où les vagues chatouillent et malmènent la frange de sable.
Si le sexe de
Pierre était un paysage, il serait celui-là.
Un sexe qu'il
exécrait... hostile Sahel où nulle végétation ne risquait la moindre pousse... une
pilosité à clouer au pilori si toutefois il devait trouver le courage d'exhiber
l'infâme...
Non, Pierre
attendait, attend, et attendrait... Pas chiant, Pierre, patient : il
attendrait et se cacherait si jamais il devait n'être frappé d'aucune sorte du
sceau d'une virilité du moins acceptable à défaut d'être généreuse...
Ne riez
pas ! Et ne réduisez point la chose, s'il vous plaît, à la question du
complexe. Ce serait, paradoxalement, trop simple !
Car je l'ai
dit, Pierre tout gosse qu'il était, n'en avait pas pour autant l'intuition dans
sa poche. Et son intuition lui commandait de croire qu'en avoir ou pas, c'était
être ou pas.
La brute n'a
pas d'état d'âme. La Brute a raison. La brutalité l'emporte, toujours. C'est
ainsi. C'est l'histoire du monde et n'en parlons plus.
Et tandis que
se profilait une nouvelle génération de pyromanes qui foutrait sous peu le feu
aux racines séculaires, qu'un climat de violence deviendrait le calibre du
social (et là je vous prie de croire que l'allusion à l'arme n'est pas
seulement le fruit d'illusions,) et que la bestialité aurait partout le droit
de cité, que pourrait-il rester de la tendre pousse quand l'incendie prendra
les racines et les fruits ?
Rien !
Au milieu des
décombres, seuls les corps seront dignes d'être exhibés, les troncs. L'étron,
peut-être...
Plus que jamais
seuls les corps seront magnifiés, les corps dans lesquels prend corps la
brutalité. Alors gare à ceux qui ne sont guère dans les clous... ceci-dit on voit
combien cela devient pratique et évident : puisqu'ils ne sont pas dans les
clous, ça en fait des clous laissés vacants alors faut pas gâcher. On exhibe
les corps, et on cloue les autres, les atrophiés, les travaillés de la chair,
les trop gros, les trop gras, les pas assez grand, les petites bites ou les
becs de lièvre...
N'en parlons
plus était hâtif, j'en conviens... mais comprenez-moi, loin de ne vouloir réduire
l'histoire du monde qu'à une pâle question de centimètres en plus, ou en moins,
reconsidérons ensemble, si vous le voulez bien, une histoire du monde à l'aulne
de la testostérone.
Et puis non. Allez-y
seul. Seulement, que cette dernière vienne à manquer : qu'importe, si
l'argent est là, le pouvoir aussi. Mais point de pouvoir si point d'argent, de
même point de pouvoir si trop peu de testostérone.
Pierre, je l'ai
dit, se prendra de passion plus tard pour l'étude des mammifères dans laquelle
il serait vain, selon lui, de voir de l'injustice. Les rapports de force, les
lois naturelles, tout ceci lui semblait juste, juste de justesse puisque par
essence exact, juste de justice en quelque sorte aussi... puisque conforme aux
dites-lois naturelles.
Il avait
pressenti cependant que pour la chose humaine, justice et justesse ne pouvaient
plus se confondre. Chez l'homme la justesse consistait justement à se conformer
aux lois naturelles, et d'en ressentir alors toute l'iniquité... de ce malaise
devait naître quelque chose comme de désespérées tentatives d'organisation
sociale et de règles communes. Une ébauche de justice arrachée de justesse à la
nature trop animale de nous-même, justice à qui il était de bonne guerre de
tordre son cou. Ce qui était finalement juste, disons dans l'ordre des choses.
Le goût qui lui
resta de cette étude dilettante fut désagréable et lui donna plutôt l'envie
d'opter pour le minéral.
En un sens, la
première expérience sexuelle de Pierre, quelques années plus tard et qui fut
d'ailleurs la dernière, ne fit qu'accroître l'urgence en lui à se minéraliser.
Le jeune fille
était pâlotte, maigre et dévorée
d'acné. Quand il eût dix sept ans il décida, afin de ne point rester puceau, de
jeter volontairement son dévolu sur la
plus moche ; disons qu'elle lui sembla une proie faiblement discutée, et
que cela arrangeait notre prédateur débutant. C'est qu'il tentait en ces temps
un tantinet encore de jouer le jeu de sa nature animale.
Elle avait ri,
simplement ; elle avait ri et lui non. A cet instant qu'il estimait grave
et solennel, elle avait ri, stupidement, nerveusement ; lui avait tenté de
garder son calme.
Non, décidément
la sexualité n'avait été pour lui qu'humeurs, humiliation et honte.
Parfois, il y
repensera. Sans nostalgie ni désir. Sans haine ni heurt.
Sa mère finit
par lui donner son accord, c'était vers la fin d'avril. Il lui fallait
cependant songer à proposer à son fils, afin de remplacer le judo, une activité
prompte à le canaliser. Maître mot de l'éducation qu'elle entendait lui donner.
Ca-na-li-ser !
Pierre avait
maintes fois déjà déjoué les embrigadements religieux que sa mère, Thérèse,
avait attentés ; il n'entendrait en rien devoir céder nouvellement. Une
tête dure comme celle de son père après-tout.
Et c'était bien
justement la menace qui effrayait tant Thérèse : que son Pierre fut à
l'image de son piètre père, à savoir un connard phallocrate et satisfait, d'un
égoïsme monstre et à la torgnole facile.
Aussi la
discussion fut âpre... la chorale fut suggérée et Pierre se buta. Il craignait
que ce fût là une ultime tentative de bondieuseries. Il n'avait pas
connu son père ; il lui sembla même de toute mémoire que sa mère fût
toujours folle. Elle s'était jeté dans les bras du Christ dès qu'enceinte.
Peut-être lui attribuait-elle la paternité ? Oui, cela devait bien en être
ainsi.
À son corps
défendant, il faut bien avouer que la Tante Marie était déjà bien barrée dans
une idolâtrie crétine et sans nuance. Pépé Dalquier avait été veuf dès la
naissance de sa fille, puisque Thérèse, la mère de Thérèse, était morte en
couche. Marie, vieille fille et grenouille de bénitiers, avait fait de
l'éducation de sa nièce un sacerdoce. Charles Dalquier, terrassé par le chagrin
-et déjà toute la tête lui manquait- ne s'était pas opposé à cette
délégation.
La dévote
n'avait de cesse que de diaboliser le mâle, et sa nièce fut perméable et zélée.
Jusqu'au jour où le démon se présenta à elle.
La proie
facile, vierge, avait succombé au jeune homme un soir de bal, qui la prit
égoïstement, à la va-vite, dans une sauvagerie qui -et c'est là que la
repentance de Thérèse trouva son origine- loin de déplaire à la jouvencelle lui
fit entrevoir, au contraire, un monde de douloureux délices, de pêchés
diaboliques et dégoûtants auxquels elle avait peur de devoir renoncer par la
suite, si elle devait poursuivre sur le seul chemin de la vertu. Alors, moite
et poisseuse, elle accabla l'ouvrier trousse-jupon à peine eût-il conclut sa
petite et mesquine affaire... lui ne comprenait rien de cette furie, paniqua et
la gifla. Ce fut ainsi leur dernier contact. Le premier contact et le tout
dernier, ensemble. Leur seul et unique contact. Thérèse tomba enceinte,
irrévocablement.
La suite se
laisse entrevoir aisément : Marie préféra la honte d'une nièce fille-mère
à la honte plus clandestine de devoir faire appel à quelque faiseuse d'anges.
On tenta de déguiser l'infâme acte en une sorte de viol, histoire de laisser
planer sur Thérèse le bénéfice du doute, et attirer l'opprobre sur le
malheureux ouvrier qui, de toutes les façons, était bien résolu à ne plus
jamais approcher la furie.
Comment
l'aurait-il pu d'ailleurs ? Marie et Thérèse quittèrent la région,
histoire d'aller faire peau neuve et gober leur histoire à d'autres voisinages
tout autant friands de gorges chaudes et de racontars. Pépé Dalquier avait,
lui, suivi à contre-cœur. Il troqua les plaisirs de la pêche contre d'autres
plaisirs de la pêche. Après tout, ces points d'eau ci eurent tôt fait de remplacer
les précédents. Et puis, le fruit des entrailles de Thérèse, pour peu qu'il fût
un garçon, l'accompagnerait au petit matin sur les lacs embrumés. Il lui
apprendrait à pêcher. Le gamin lui tiendrait compagnie... cela prendrait du
temps. Charles en avait.
Une fois qu'ils
se mirent d'accord pour définitivement abandonner la piste des sports -ni
Pierre ni Thérèse n'avait avancé la solution des sports collectifs où une balle
est en jeu : pour Pierre, il était clair qu'il ne troquerait pas
l'humiliation d'un vestiaire pour l'humiliation d'un nouveau vestiaire ;
pour Thérèse, l'arène où s'affrontaient les diverses virilités lui apparaissait
un lieu quasiment aussi effroyable que l'enfer. Et comprenez bien qu'exacerber
la virilité de son fils lui était proprement intolérable !- et que la
chorale ou toute autre forme d'art lyrique fut écartée, un moratoire fut
suggéré.
Lequel dura
fort peu de temps. Thérèse avait l'idée de génie d'inscrire son fils à des
cours de dessin.
Les premières
séances accablèrent le jeune adolescent, mais quand la question de l'anatomie
se présenta, il en fut autrement.
Pierre insista
auprès de sa mère pour posséder des planches anatomiques, dans un premier
temps ; il reçut ensuite un ouvrage qui bouleverserait sa vie...
Avec quelle application et quel zèle il
fendit pour la première fois la toison grise, le ciseau guidé par la sonde
cannelée... la sonde avait pénétré par la boutonnière : d'apprendre, ô
raffinement, le seul mot de boutonnière avant même d'avoir pratiqué cette
incision, ce trou puisqu'il ne s'agissait en fin de compte que d'un vulgaire
trou dans la peau de la bête, le seul mot, rien qu'à le prononcer il en
éprouvait d'avance volupté et délice. Bou-to-nière, répétait-il tandis qu'il
poursuivait la lecture de ce manuel de dissection.
Combien lui
était apparue épaisse, cette couche de peau. Pas lourde, dense. Il fallait
ensuite rabattre les deux longs pans de peau que quatre incisions suivant l'axe des membres avait interrompus.
Comme un manteau que l'on veut s'ôter, rabattre le coin supérieur de chaque pan
vers l'extrémité des pattes antérieures d'une part, l'autre coin vers celle des
pattes postérieures d'autre part. Les membres avaient été épinglés sur la
tablette de liège, laquelle accueillait la souris nouvellement christianisée.
L'animal avait connu la mort avant la crucifixion, avant même son immersion
dans l'eau qui devait recouvrir totalement sa dépouille afin d'éviter toute
odeur ou gonflement des organes plutôt désagréables.
Il souriait, se
plut à appeler le sujet de son étude Jésus en dépit du bon goût et par réaction
épidermique envers sa folle en christ de mère.
Et puisque l'on
en vient à parler d'épiderme, Jésus n'en avait plus guère à ce stade, ni derme
non plus. Ensuite, ce ne
fut que calme et volupté. Pierre se montrait patient et méticuleux, et tandis
qu'il découpait à l'aide des instruments appropriés ici la cage thoracique, là
quelque péritoine, et qu'il suivait, non, il dévorait plutôt, son ouvrage de
dissection, il connut ses premiers émois. Lents, distillés d'abord, conquérants
ensuite.
Quand il perdit
tout contrôle, il mutila Jésus, massacrant dans une hargne dont personne, pas
même son sensei, ne l'aurait cru capable, les organes génitaux de la
bestiole.
Autant vous
l'avouez : l'auréole avait bel et bien déserté le dessus de sa tête. Elle
trônait à l'entrejambe de son pantalon. Telle un gros œil visqueux.
L'idée de la
mort finit par obséder Pierre. Parfois, il repensait à la dépouille de Pépé, ce
corps froid, verdâtre, presque fluorescent, et tellement dur... ce front et ces
joues qui n'avaient plus rien de flasques... ces joues qu'il avait, contraint par
sa mère, dues baiser, là, debout et dubitatif devant le macchabée de Pépé quand
ils étaient venus le voir au funérarium.
Les paupières
scellées cachaient les yeux du vieux. Pierre avait souri alors, imaginant la
stupidité du regard de Charles en cet instant précis. Le souvenir
d'une matinée brumeuse avait immédiatement bousculé toute autre considération
pour se présenter, impérieux, au jeune homme.
Cette fois où
il avait questionné Pépé, l'interrogeant sur son étrange conception de la
pêche. Car Pépé compatissait quand il arrachait sa prise des bras de l'eau.
Puis, haussant les sourcils, presque dégoûté, il remettait le moribond dans
l'eau glauque.
Pépé avait
répondu que les poissons étaient cons. Qu'il n'aimait pas tomber sur des
poissons cons car il les ferrait, les sortait de l'eau, et après avoir retiré
l'hameçon de leur gueule, il devait affronter la vue de leur œil mort, morne,
vide et visqueux... et ça l'embarrassait, Pépé, de devoir soutenir le regard
stupide de la bestiole qui commençait de calancher.
Oui, l'idée de
la mort obsédait Pierre ; il vécut pourtant une vie sereine et sédentaire.
Sans sexualité, sans remous, sans nostalgie ni désir. Sans haine ni heurt.
Il mourut dans
sa soixante quinzième année, en homme seul et dévoré par son propre
corps : un banal cancer, sans imagination.
Parfois, il y
repensait à la maigre jeune fille dévorée d'acné. Sans nostalgie ni désir. Sans
haine ni heurt.
Il s'était
apaisé, désormais.
Je crois qu'au
moment précis de sa mort, et je ne sais si cela se produisit ou non à cause de
la peur de l'instant, enfin, à ce dernier instant une auréole vint orner
l'entrejambe de son pantalon.
Une auréole
visqueuse, comme un gros œil de poisson stupide qui calanche.
Comme l'œil
accusateur qui regarde Caïn depuis la tombe.
Non, peut-être
pas de la peur, après tout. Car au moment précis de sa mort, il revoit la
maigre et pâlotte jeune fille, dévorée d'acné, qui avait ri. Elle avait ri,
simplement ; elle avait ri et lui non. A cet instant qu'il estimait grave
et solennel, elle avait ri, stupidement, nerveusement ; lui avait tenté de
garder son calme...
Et s'il avait
réussi à se maîtriser cette fois là, l'humiliation avait été trop forte.
Et tandis qu'il
sent son corps qui le mange en entier, qu'il repense à la maigre et pâlotte
jeune fille, tandis qu'il évoque Pépé -ô combien il avait raison, Pépé :
ce que ça peut avoir de stupide l'œil de celui qui calanche- il sent un flot de
volupté l'envahir, monter, monter... il repense à Jésus... et le flot l'emporte
tandis qu'il repense à Jésus, la volupté qu'il avait ressenti pendant sa perte
de contrôle, le carnage, le carnage, l'œil stupide de la jeune fille à qui il
avait secrètement donné rendez-vous, plus tard ; l'œil stupide de la jeune
fille qui calanche à l'instant où l'instrument adéquat fend le trop léger
tissu de sa culotte.
Elle avait ri,
simplement ; elle avait ri et lui non. Et à cet instant elle n'avait plus
ri, stupidement, nerveusement.
Et l'auréole,
miraculeuse, avait orné son pantalon.
Une auréole
visqueuse, comme un gros œil de poisson stupide qui calanche.
Comme l'œil accusateur qui
regarde Caïn depuis la tombe.
Ecrit par iza le Mercredi 16 Mai 2007, 09:32 dans "Actualités"
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Commentaires
Lien croisé
Anonyme - le 16-05-07 à 09:51 - #
Blog appétit - l'actualité et les recettes des blogs gourmands, blog de c : " Mercredi 16 mai 2007Lire0"
Répondre à ce commentaire
Henri Alberti - le 21-05-07 à 22:45 - #
Bonsoir Iza
Ce texte est désespérément désespéré non ? Mais il me parle quelque part aussi, histoires de familles…
Pour le réseau libre, j’ai essayé d’attirer du monde, cela ne marche pas.
Si mon langage est compacte, il a le mérite d’être claire, j’ai dit ce que j’avais à dire sur les propositions de Jean Michel Cornu. Je suis sur la même longueur d’onde que Lény ( en moins idéaliste ).
Cette période me semble vide et apathique, peut-être à cause des élections comme le dit Axel ( journaliste à l’AFP ). Voilà.
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iza - le 22-05-07 à 13:25 - #
Je sais bien, j'ai bien compris. je crois qu'on est sur la même longueur d'ondes... je blaguais jsute en passant chez Charlie et en lisant ta question... elle traduisait trop bien ton trouble, et le mien !
J'ai confiance, ça va revenir !
Sinon... euh, oui, c'est un peu sombre ce texte.... mais ça me parle oui.
à bientôt Henri !
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