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le blog de tataiza

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J'aurais bien des trucs à dire à propos de ce que je vous propose ici...
Bien des choses, trop de choses et ce n'est pas le lieu.

Je voudrais par contre que vous lisiez ce texte, juste pour partager.

Et si ça vous plait plein d'autres ici, chez Jeanda

Un printemps de nécrose

L'hiver emporta la tante Marie. Et Pépé. Le printemps, les espoirs qu'il avait sottement pu caresser. Toutes ses dernières illusions dissipées comme les ultimes givrées tenaces qui s'accrochent en mars, en avril, et que le jour éparpille puis dissout, Pierre n'aurait plus qu'à, finalement, trimballer gauchement son corps de petit garçon pour les quelques soixante années qui s'ouvraient à lui. Ce fut donc, contre toute attente, un printemps de nécrose.

Sans aller jusqu'à dire que cela fut marrant ou comique, il fut drôle de constater que dans un cas comme dans l'autre, les deux décès qui endeuillèrent la famille de Pierre étaient imputables, en quelques sortes, aux facéties d'un corps humilié qui devait alors jeter l'éponge.
La tante Marie chuta et le col de son fémur se cassa. Son corps, un chien abandonné, avait piteusement préféré se laisser mourir. Le vétérinaire n'avait rien pu faire.
Quant à Pépé Dalquier, le papa de maman, son incontinence de plus en plus ingérable contrariait le déroulement serein des journées du vieil homme qui sans être pourri arborait la face édentée et fripée d'une vieille pomme. Le fruit trop mûr coulait en général des jours heureux et sédentaires, abstraction faite des aller et retour incessants que les outrages de l'âge lui faisaient subir. Cependant, sur l'insistance de sa sœur, peu de temps avant qu'elle ne casse sa pipe et son os, Pépé Dalquier -qui fut toujours perméable aux conseils avisés et serinés de sa sœur aînée, ô sœur aimée, «la peau de vache, ouais... » aurait-il pensé- se décida à s'inscrire enfin à ce voyage organisé : l'aventure ! Peut-être que sa seule motivation ne fut qu'elle lui lâchât la grappe... enfin... le Pépé en tout cas, le voilà qui se décide, ça lui prend comme une envie de pisser, puis dans le car qui part pour le Périgord. Le car fait une escale parmi d'autres. Pépé obligé de se rendre aux toilettes une fois de plus. Le car repart sans lui, cette fois. Humilié dans son corps, encore, c'est le cœur, autre chien abandonné sur la route des vacances, qui jette l'éponge, cesse de se battre, cesse de battre. Pépé est mort sur la parking, une auréole au pantalon. Une auréole en forme d'œil.
Si la mort de Pépé demeura un mystère pour le jeune homme -mourir d'aller trop aux toilettes, cela lui semblait suspect, impossible à considérer- il en fît son parti alors que tout bien considéré, la mort de la tante Marie : plus qu'une énigme, un défi aux lois de la nature !
Car Pierre, tout curieux qu'il était des choses de la vie, avaient longtemps été fasciné par le bouillonnement incessant qu'offrait le spectacle d'une colonie de fourmis. L'organisation qui, sans être apparente, reposait sur quelques lois secrètes, tous ces agissements que nul hasard ne devait commander, bref, l'ensemble des règles qui régissait minutieusement le moindre mouvement des insectes, tout ceci il avait eu un temps loisir de le contempler. Ainsi avait-il assisté à quelques extraordinaires et hauts faits de ces braves hyménoptères : cette capacité à porter charge incroyablement plus lourde que leur propre masse... et ces chutes incommensurables dont les victimes se remettaient par une légère accélération de leur déambulation, une fois la terre retrouvée. Il avait puisé dans ses observations, que bientôt il complèterait par l'étude dilettante d'autres espèces, une sorte de loi générale de la chose biologique. Et il ne pouvait se résoudre à accepter que la mort fut la résultante d'une chute si minable. L'humain, de surcroît, clamait pompeusement son arrogance à la face du monde vivant (avec cette brillante intuition qu'ont parfois les enfants, Pierre en avait perçue des bribes, déjà, de cette arrogance,) et bien des fois, la Tante Marie, par ses mesquins calculs et cette façon hésitante mais économe qu'ont les vieilles personnes de se mouvoir, présentait aux yeux du jeune homme un je ne sais quoi de formique. L'humain, donc, comment pouvait-il soutenir encore cette position dominante quand choir de sa propre taille vous taillait l'individu en pièce ? 
 

Au sortir de cet hiver douloureux au cours duquel il avait été une fois de plus victime d'une otite carabinée (et l'image n'est pas de trop : à croire qu'à coups de fusil on lui explosait les tympans,) il se saisit de l'occasion pour annoncer à sa mère qu'il abandonnerait le judo dès que sur pied, au retour des vacances de février.
Il bredouillait, prétextait midi à quatorze heures... incriminait les horaires, la fatigue que cela procurait à laquelle viendrait bientôt s'ajouter la fulgurance d'une croissance qu'il devait entamer... elle avait bon dos aussi semble-t-il, cette passagère démotivation que de mauvais résultats lors des dernières compétitions avaient miraculeusement suscitée. Sa mère devait y penser, pour le moment, et ne trancha point.
Ce n'est pas tant qu'il n'aimait plus ce qu'il considérait comme au delà d'un sport ; bien au contraire, le judo avait tôt fait de revêtir pour Pierre un contact précoce avec une façon de pensée dans laquelle il s'était reconnu, sans en avoir fait une démarche volontaire. Il aimait particulièrement tous ces petits gestes épurés et bourrés de respect et d'obéissance envers les adversaires, les juges, les maîtres. Il goûtait révérencieusement le bien-être absolu qu'il ressentait assis de la sorte, les fesses sur la plante des pieds croisés, mains posées à plat sur les cuisses, dans l'attente de l'appel de son nom qui dirait le moment d'aller combattre. Il aimait par dessus tout devoir attendre. Le contact du cou de pied avec le tatami était un plaisir aussi certain et aussi vif que l'odeur générale qu'exhalait le dojo. Et le velouté de la surface du tatami, lorsqu'il le caressait du plat de sa main, lui procurait un je ne sais quoi de volupté.
Non, le problème qu'il devait désormais affronter ne se situait plus sur le tatami. Certes, Pierre n'obtenait que de minables résultats lors des compétitions, alors qu'il était de l'avis même de son sensei fin technicien... pas assez d'ardeur au combat, peut-être, ajoutez à cela qu'il prenait plutôt le judo à la façon d'une chorégraphie donc il cherchait tout naturellement le joli mouvement, voilà tout. Il se faisait terrasser régulièrement par de petits nerveux, souvent de pâles ceintures, qui à peine Hajime lâché par l'arbitre avaient déjà fondu sur lui, un petit ko soto gari un peu bâclé et voilà Pierre affalé sur le tatami, l'odeur lui plaît à Pierre, il prend son temps et respire à large narine, tandis que l'autre s'affaire à verrouiller un hon gesa gatame scolaire mais efficace. Les secondes s'égrainent et Pierre prend le temps de tout envisager. Trente petites ridicules secondes à rester sur le dos, sans guère vouloir se débattre, et voilà l'arrêt du combat et proclamé vainqueur le petit nerveux débraillé.
L'arène où se déroulait désormais le combat le plus terrible aux yeux de Pierre était les vestiaires. Il lui devenait impossible d'affronter le regard des autres, quand, chacun, après être sorti du collège, prenait place sur le banc, se déshabillait et se parait du kimono. Depuis le temps qu'ils appartenaient au même club, pour la plupart, ils se connaissaient bien. Et les bouleversements chez le corps de l'enfant qui se propageaient tel une épidémie, touchaient untel, untel, ou encore tel autre... un par un ils étaient terrassés par les prémices du mal, les début du mâle... un après l'autre... mais Pierre guettait, inquiet, son tour... tour qui avait dû être sauté... il se rendait malade d'être à ce point épargné... inique immunité...
Il avait dû alors développer une stratégie qui devait le conduire à être soit l'un des tout premiers soit l'un des tout derniers à investir le vestiaire afin de se changer. Au moins évitait-il de ressentir gêne ou honte.

 

Un désert : deux dunes dénudées dorées et chauves. Un grain de peau chaud et blond. Une zone de ridules comme un rivage où les vagues chatouillent et malmènent la frange de sable.
Si le sexe de Pierre était un paysage, il serait celui-là.
Un sexe qu'il exécrait... hostile Sahel où nulle végétation ne risquait la moindre pousse... une pilosité à clouer au pilori si toutefois il devait trouver le courage d'exhiber l'infâme...
Non, Pierre attendait, attend, et attendrait... Pas chiant, Pierre, patient : il attendrait et se cacherait si jamais il devait n'être frappé d'aucune sorte du sceau d'une virilité du moins acceptable à défaut d'être généreuse...
Ne riez pas ! Et ne réduisez point la chose, s'il vous plaît, à la question du complexe. Ce serait, paradoxalement, trop simple !
Car je l'ai dit, Pierre tout gosse qu'il était, n'en avait pas pour autant l'intuition dans sa poche. Et son intuition lui commandait de croire qu'en avoir ou pas, c'était être ou pas.
La brute n'a pas d'état d'âme. La Brute a raison. La brutalité l'emporte, toujours. C'est ainsi. C'est l'histoire du monde et n'en parlons plus.
Et tandis que se profilait une nouvelle génération de pyromanes qui foutrait sous peu le feu aux racines séculaires, qu'un climat de violence deviendrait le calibre du social (et là je vous prie de croire que l'allusion à l'arme n'est pas seulement le fruit d'illusions,) et que la bestialité aurait partout le droit de cité, que pourrait-il rester de la tendre pousse quand l'incendie prendra les racines et les fruits ?
Rien !
Au milieu des décombres, seuls les corps seront dignes d'être exhibés, les troncs. L'étron, peut-être...
Plus que jamais seuls les corps seront magnifiés, les corps dans lesquels prend corps la brutalité. Alors gare à ceux qui ne sont guère dans les clous... ceci-dit on voit combien cela devient pratique et évident : puisqu'ils ne sont pas dans les clous, ça en fait des clous laissés vacants alors faut pas gâcher. On exhibe les corps, et on cloue les autres, les atrophiés, les travaillés de la chair, les trop gros, les trop gras, les pas assez grand, les petites bites ou les becs de lièvre...
N'en parlons plus était hâtif, j'en conviens... mais comprenez-moi, loin de ne vouloir réduire l'histoire du monde qu'à une pâle question de centimètres en plus, ou en moins, reconsidérons ensemble, si vous le voulez bien, une histoire du monde à l'aulne de la testostérone.
Et puis non. Allez-y seul. Seulement, que cette dernière vienne à manquer : qu'importe, si l'argent est là, le pouvoir aussi. Mais point de pouvoir si point d'argent, de même point de pouvoir si trop peu de testostérone.

 

Pierre, je l'ai dit, se prendra de passion plus tard pour l'étude des mammifères dans laquelle il serait vain, selon lui, de voir de l'injustice. Les rapports de force, les lois naturelles, tout ceci lui semblait juste, juste de justesse puisque par essence exact, juste de justice en quelque sorte aussi... puisque conforme aux dites-lois naturelles.
Il avait pressenti cependant que pour la chose humaine, justice et justesse ne pouvaient plus se confondre. Chez l'homme la justesse consistait justement à se conformer aux lois naturelles, et d'en ressentir alors toute l'iniquité... de ce malaise devait naître quelque chose comme de désespérées tentatives d'organisation sociale et de règles communes. Une ébauche de justice arrachée de justesse à la nature trop animale de nous-même, justice à qui il était de bonne guerre de tordre son cou. Ce qui était finalement juste, disons dans l'ordre des choses.

 

Le goût qui lui resta de cette étude dilettante fut désagréable et lui donna plutôt l'envie d'opter pour le minéral.
En un sens, la première expérience sexuelle de Pierre, quelques années plus tard et qui fut d'ailleurs la dernière, ne fit qu'accroître l'urgence en lui à se minéraliser.
Le jeune fille était pâlotte, maigre et dévorée d'acné. Quand il eût dix sept ans il décida, afin de ne point rester puceau, de jeter volontairement son dévolu sur la plus moche ; disons qu'elle lui sembla une proie faiblement discutée, et que cela arrangeait notre prédateur débutant. C'est qu'il tentait en ces temps un tantinet encore de jouer le jeu de sa nature animale.
Elle avait ri, simplement ; elle avait ri et lui non. A cet instant qu'il estimait grave et solennel, elle avait ri, stupidement, nerveusement ; lui avait tenté de garder son calme.
Non, décidément la sexualité n'avait été pour lui qu'humeurs, humiliation et honte.
Parfois, il y repensera. Sans nostalgie ni désir. Sans haine ni heurt.

 

Sa mère finit par lui donner son accord, c'était vers la fin d'avril. Il lui fallait cependant songer à proposer à son fils, afin de remplacer le judo, une activité prompte à le canaliser. Maître mot de l'éducation qu'elle entendait lui donner. Ca-na-li-ser !
Pierre avait maintes fois déjà déjoué les embrigadements religieux que sa mère, Thérèse, avait attentés ; il n'entendrait en rien devoir céder nouvellement. Une tête dure comme celle de son père après-tout.
Et c'était bien justement la menace qui effrayait tant Thérèse : que son Pierre fut à l'image de son piètre père, à savoir un connard phallocrate et satisfait, d'un égoïsme monstre et à la torgnole facile.
Aussi la discussion fut âpre... la chorale fut suggérée et Pierre se buta. Il craignait que ce fût là une ultime tentative de bondieuseries. Il n'avait pas connu son père ; il lui sembla même de toute mémoire que sa mère fût toujours folle. Elle s'était jeté dans les bras du Christ dès qu'enceinte. Peut-être lui attribuait-elle la paternité ? Oui, cela devait bien en être ainsi.
À son corps défendant, il faut bien avouer que la Tante Marie était déjà bien barrée dans une idolâtrie crétine et sans nuance. Pépé Dalquier avait été veuf dès la naissance de sa fille, puisque Thérèse, la mère de Thérèse, était morte en couche. Marie, vieille fille et grenouille de bénitiers, avait fait de l'éducation de sa nièce un sacerdoce. Charles Dalquier, terrassé par le chagrin -et déjà toute la tête lui manquait- ne s'était pas opposé à cette délégation.
La dévote n'avait de cesse que de diaboliser le mâle, et sa nièce fut perméable et zélée. Jusqu'au jour où le démon se présenta à elle.

 

La proie facile, vierge, avait succombé au jeune homme un soir de bal, qui la prit égoïstement, à la va-vite, dans une sauvagerie qui -et c'est là que la repentance de Thérèse trouva son origine- loin de déplaire à la jouvencelle lui fit entrevoir, au contraire, un monde de douloureux délices, de pêchés diaboliques et dégoûtants auxquels elle avait peur de devoir renoncer par la suite, si elle devait poursuivre sur le seul chemin de la vertu. Alors, moite et poisseuse, elle accabla l'ouvrier trousse-jupon à peine eût-il conclut sa petite et mesquine affaire... lui ne comprenait rien de cette furie, paniqua et la gifla. Ce fut ainsi leur dernier contact. Le premier contact et le tout dernier, ensemble. Leur seul et unique contact. Thérèse tomba enceinte, irrévocablement.
La suite se laisse entrevoir aisément : Marie préféra la honte d'une nièce fille-mère à la honte plus clandestine de devoir faire appel à quelque faiseuse d'anges. On tenta de déguiser l'infâme acte en une sorte de viol, histoire de laisser planer sur Thérèse le bénéfice du doute, et attirer l'opprobre sur le malheureux ouvrier qui, de toutes les façons, était bien résolu à ne plus jamais approcher la furie.
Comment l'aurait-il pu d'ailleurs ? Marie et Thérèse quittèrent la région, histoire d'aller faire peau neuve et gober leur histoire à d'autres voisinages tout autant friands de gorges chaudes et de racontars. Pépé Dalquier avait, lui, suivi à contre-cœur. Il troqua les plaisirs de la pêche contre d'autres plaisirs de la pêche. Après tout, ces points d'eau ci eurent tôt fait de remplacer les précédents. Et puis, le fruit des entrailles de Thérèse, pour peu qu'il fût un garçon, l'accompagnerait au petit matin sur les lacs embrumés. Il lui apprendrait à pêcher. Le gamin lui tiendrait compagnie... cela prendrait du temps. Charles en avait.

 

Une fois qu'ils se mirent d'accord pour définitivement abandonner la piste des sports -ni Pierre ni Thérèse n'avait avancé la solution des sports collectifs où une balle est en jeu : pour Pierre, il était clair qu'il ne troquerait pas l'humiliation d'un vestiaire pour l'humiliation d'un nouveau vestiaire ; pour Thérèse, l'arène où s'affrontaient les diverses virilités lui apparaissait un lieu quasiment aussi effroyable que l'enfer. Et comprenez bien qu'exacerber la virilité de son fils lui était proprement intolérable !- et que la chorale ou toute autre forme d'art lyrique fut écartée, un moratoire fut suggéré.
Lequel dura fort peu de temps. Thérèse avait l'idée de génie d'inscrire son fils à des cours de dessin.
Les premières séances accablèrent le jeune adolescent, mais quand la question de l'anatomie se présenta, il en fut autrement.
Pierre insista auprès de sa mère pour posséder des planches anatomiques, dans un premier temps ; il reçut ensuite un ouvrage qui bouleverserait sa vie...

 

Avec quelle application et quel zèle il fendit pour la première fois la toison grise, le ciseau guidé par la sonde cannelée... la sonde avait pénétré par la boutonnière : d'apprendre, ô raffinement, le seul mot de boutonnière avant même d'avoir pratiqué cette incision, ce trou puisqu'il ne s'agissait en fin de compte que d'un vulgaire trou dans la peau de la bête, le seul mot, rien qu'à le prononcer il en éprouvait d'avance volupté et délice. Bou-to-nière, répétait-il tandis qu'il poursuivait la lecture de ce manuel de dissection.
Combien lui était apparue épaisse, cette couche de peau. Pas lourde, dense. Il fallait ensuite rabattre les deux longs pans de peau que quatre incisions suivant l'axe des membres avait interrompus. Comme un manteau que l'on veut s'ôter, rabattre le coin supérieur de chaque pan vers l'extrémité des pattes antérieures d'une part, l'autre coin vers celle des pattes postérieures d'autre part. Les membres avaient été épinglés sur la tablette de liège, laquelle accueillait la souris nouvellement christianisée. L'animal avait connu la mort avant la crucifixion, avant même son immersion dans l'eau qui devait recouvrir totalement sa dépouille afin d'éviter toute odeur ou gonflement des organes plutôt désagréables.
Il souriait, se plut à appeler le sujet de son étude Jésus en dépit du bon goût et par réaction épidermique envers sa folle en christ de mère.
Et puisque l'on en vient à parler d'épiderme, Jésus n'en avait plus guère à ce stade, ni derme non plus. Ensuite, ce ne fut que calme et volupté. Pierre se montrait patient et méticuleux, et tandis qu'il découpait à l'aide des instruments appropriés ici la cage thoracique, là quelque péritoine, et qu'il suivait, non, il dévorait plutôt, son ouvrage de dissection, il connut ses premiers émois. Lents, distillés d'abord, conquérants ensuite.
Quand il perdit tout contrôle, il mutila Jésus, massacrant dans une hargne dont personne, pas même son sensei, ne l'aurait cru capable, les organes génitaux de la bestiole.
Autant vous l'avouez : l'auréole avait bel et bien déserté le dessus de sa tête. Elle trônait à l'entrejambe de son pantalon. Telle un gros œil visqueux.

 

L'idée de la mort finit par obséder Pierre. Parfois, il repensait à la dépouille de Pépé, ce corps froid, verdâtre, presque fluorescent, et tellement dur... ce front et ces joues qui n'avaient plus rien de flasques... ces joues qu'il avait, contraint par sa mère, dues baiser, là, debout et dubitatif devant le macchabée de Pépé quand ils étaient venus le voir au funérarium.
Les paupières scellées cachaient les yeux du vieux. Pierre avait souri alors, imaginant la stupidité du regard de Charles en cet instant précis. Le souvenir d'une matinée brumeuse avait immédiatement bousculé toute autre considération pour se présenter, impérieux, au jeune homme.
Cette fois où il avait questionné Pépé, l'interrogeant sur son étrange conception de la pêche. Car Pépé compatissait quand il arrachait sa prise des bras de l'eau. Puis, haussant les sourcils, presque dégoûté, il remettait le moribond dans l'eau glauque.
Pépé avait répondu que les poissons étaient cons. Qu'il n'aimait pas tomber sur des poissons cons car il les ferrait, les sortait de l'eau, et après avoir retiré l'hameçon de leur gueule, il devait affronter la vue de leur œil mort, morne, vide et visqueux... et ça l'embarrassait, Pépé, de devoir soutenir le regard stupide de la bestiole qui commençait de calancher.

 

Oui, l'idée de la mort obsédait Pierre ; il vécut pourtant une vie sereine et sédentaire. Sans sexualité, sans remous, sans nostalgie ni désir. Sans haine ni heurt.
Il mourut dans sa soixante quinzième année, en homme seul et dévoré par son propre corps : un banal cancer, sans imagination.
Parfois, il y repensait à la maigre jeune fille dévorée d'acné. Sans nostalgie ni désir. Sans haine ni heurt.
Il s'était apaisé, désormais.

 

Je crois qu'au moment précis de sa mort, et je ne sais si cela se produisit ou non à cause de la peur de l'instant, enfin, à ce dernier instant une auréole vint orner l'entrejambe de son pantalon.
Une auréole visqueuse, comme un gros œil de poisson stupide qui calanche.
Comme l'œil accusateur qui regarde Caïn depuis la tombe.

 

Non, peut-être pas de la peur, après tout. Car au moment précis de sa mort, il revoit la maigre et pâlotte jeune fille, dévorée d'acné, qui avait ri. Elle avait ri, simplement ; elle avait ri et lui non. A cet instant qu'il estimait grave et solennel, elle avait ri, stupidement, nerveusement ; lui avait tenté de garder son calme...
Et s'il avait réussi à se maîtriser cette fois là, l'humiliation avait été trop forte.
Et tandis qu'il sent son corps qui le mange en entier, qu'il repense à la maigre et pâlotte jeune fille, tandis qu'il évoque Pépé -ô combien il avait raison, Pépé : ce que ça peut avoir de stupide l'œil de celui qui calanche- il sent un flot de volupté l'envahir, monter, monter... il repense à Jésus... et le flot l'emporte tandis qu'il repense à Jésus, la volupté qu'il avait ressenti pendant sa perte de contrôle, le carnage, le carnage, l'œil stupide de la jeune fille à qui il avait secrètement donné rendez-vous, plus tard ; l'œil stupide de la jeune fille qui calanche à l'instant où l'instrument adéquat fend le trop léger tissu de sa culotte.
Elle avait ri, simplement ; elle avait ri et lui non. Et à cet instant elle n'avait plus ri, stupidement, nerveusement.
Et l'auréole, miraculeuse, avait orné son pantalon.

 

Une auréole visqueuse, comme un gros œil de poisson stupide qui calanche.
Comme l'œil accusateur qui regarde Caïn depuis la tombe. 

Jeanda, entre le mois de mars et mai 2007

Ecrit par iza le Mercredi 16 Mai 2007, 09:32 dans "Actualités" Version imprimable

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Commentaires

Henri Alberti - le 21-05-07 à 22:45 - #

Bonsoir Iza
Ce texte est désespérément désespéré non ? Mais il me parle quelque part aussi, histoires de familles…
Pour le réseau libre, j’ai essayé d’attirer du monde, cela ne marche pas.
Si mon langage est compacte, il a le mérite d’être claire, j’ai dit ce que j’avais à dire sur les propositions de Jean Michel Cornu. Je suis sur la même longueur d’onde que Lény ( en moins idéaliste ).
Cette période me semble vide et apathique, peut-être à cause des élections comme le dit Axel ( journaliste à l’AFP ). Voilà.


iza - le 22-05-07 à 13:25 - #

Je sais bien, j'ai bien compris. je crois qu'on est sur la même longueur d'ondes... je blaguais jsute en passant chez Charlie et en lisant ta question... elle traduisait trop bien ton trouble, et le mien !

J'ai confiance, ça va revenir !

Sinon... euh, oui, c'est un peu sombre ce texte....  mais ça me parle oui.

à bientôt Henri !


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